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Geopolitical war including tech companies
DeepSeek : La Guerre Technologique Sino-Américaine

DeepSeek, entreprise chinoise fondée en décembre 2023 par Liang Wenfeng, s’inscrit dans un contexte politique et économique particulièrement mouvementé, où plusieurs événements majeurs ont contribué à redéfinir la course à l’intelligence artificielle. L’investiture de Trump, accompagnée d’un discours axé sur l’investissement massif dans l’IA, a marqué une volonté affichée de renforcer la compétitivité technologique américaine. 

Peu après, le lancement de DeepSeek et la chute en bourse de Nvidia alors leader incontesté dans la fabrication de puces IA, ont révélé la vulnérabilité de l’hégémonie technologique des États-Unis. Celle-ci s'expliquerait par la réussite de l'entreprise chinoise à se passer des puces H100, qui étaient jusque-là utilisées par les acteurs majeurs du marché de l'intelligence artificielle. 

Une rencontre privée entre le président Trump et le PDG de Nvidia, Jensen Huang (qu’elle soit une réaction à ces événements ou planifiée à l’avance), a ainsi mis en lumière la complexité de la situation: d’un côté, un gouvernement américain déterminé à protéger ses intérêts et à maintenir sa suprématie, de l’autre, une Chine qui, par l’innovation et le partage de techniques jusque-là confidentielles, montre sa capacité à innover constamment afin de se montrer concurrentiel. Mais aussi une entreprise privée qui ne souhaite pas se priver d'un marché...

Liang Wenfeng, 40 ans, originaire du Guangdong et diplômé de l’université de Zhejiang en ingénierie de l’information électronique et en informatique qui est perçu comme « plus un geek que patron » par ceux qui le connaissent. Sa discrétion habituelle contraste avec l’importance stratégique de ses récentes apparitions, notamment lorsqu’il fut le seul dirigeant de l’IA invité à un rendez-vous public avec Li Qiang, le deuxième dirigeant le plus puissant du pays. Fort de son expérience dans la finance, notamment en tant que PDG du fonds spéculatif High-Flyer, il a su utiliser les revenus générés par le trading quantitatif pour attirer et rémunérer les meilleurs talents locaux issus des universités de Pékin, Tsinghua et Beihang. 

Son ambition est claire : faire de DeepSeek un pionnier dans le développement d’une intelligence artificielle de niveau humain, c'est à dire capable d’opérer avec une efficacité et une transparence inédite. En effet, le modèle R1 de DeepSeek ne propose pas une révolution technologique, mais se distingue plutôt par la divulgation de techniques avancées telles que l’optimisation du Key-Value cache qui sert à garder en mémoire les informations des mots précédents dans une séquence pour éviter de les recalculer à chaque nouveau mot, accélérant ainsi la génération du texte, qui étaient jusque-là le secret industriel des géants américains. En partageant ces avancées avec la communauté scientifique, DeepSeek ouvre la voie à une démocratisation de l’innovation en IA, permettant à des chercheurs, des startups et des laboratoires d’expérimenter et d’améliorer des méthodes auparavant réservées aux entreprises disposant de budgets faramineux. Cette transparence n'es peut être pas dénuée d'arrières pensées géopolitiques. 

Cependant, à peine quelques jours après l’annonce de son lancement, des experts en cybersécurité (Américains) ont mis en lumière de graves vulnérabilités chez DeepSeek. Ces lacunes ont été soulevées par une étude menée par des chercheurs de CISCO, l’entreprise  spécialisée dans les équipements réseau, qui ont soumis DeepSeek R1 à des tests de résistance en utilisant des invites malveillantes. Les résultats sont inquiétants : le modèle n’a pas réussi à bloquer la moindre attaque, affichant un taux de réussite de 100 % pour ces intrusions. 

Cette absence de protection, couplée à des erreurs de filtrage, a rapidement déclenché des alarmes, non seulement en raison de la facilité les chercheurs ont pu contourner les barrières de sécurité de DeepSeek mais aussi du fait de la collecte massive de données sensibles sur cette IA. Dans un contexte où la transparence et la sécurité sont primordiales, ces vulnérabilités compromettent sérieusement la confiance dans l'intelligence artificielle développée par DeepSeek.

Pour couronner le tout, DeepSeek se retrouve rapidement confronté à la réaction immédiate des États-Unis. Pour reprendre l’ascendant, Google a mis à jour son IA Gemini vers la version 2.0 Flash, tandis qu’OpenAI a lancé son nouveau modèle o3-mini, accessible gratuitement, ainsi que la fonctionnalité Deep Research. Cette dernière, capable d’analyser en profondeur le Web pour générer des rapports documentés, illustre l’urgence de repousser les limites technologiques face à une concurrence de plus en plus féroce. Les améliorations annoncées par OpenAI, notamment en termes de sécurité, de rapidité et de réduction des erreurs, témoignent d’un effort concerté pour répondre aux défis posés par l’émergence d’acteurs innovants et concurrents comme DeepSeek.

Au final, le véritable combat se joue au cœur de la souveraineté technologique. Alors que les États-Unis tentent de maintenir leur suprématie en imposant des restrictions à l’exportation de technologies sensibles, la Chine transforme ces contraintes en catalyseur d’innovation, accélérant ainsi son indépendance technologique. Ce duel, qui dépasse la simple confrontation entre modèles d’IA génératives, illustre une lutte plus large entre des visions du monde où la maîtrise technologique est un levier stratégique essentiel et celle où l’innovation est le fruit d’un partage ouvert des connaissances.

L'Europe aujourd'hui absente du jeu aura t-elle la capacité de réagir dans le temps pour ne pas se faire dépasser comme cela a été le cas face aux moteurs de recherche il y a 25 ans ?