À l’évocation de la Silicon Valley, des noms comme Hewlett-Packard, Apple ou Google viennent immédiatement à l’esprit. Pourtant, l’une des pièces maîtresses de l’histoire de l’informatique personnelle, le Xerox Alto, reste moins connue du grand public. Cet ordinateur révolutionnaire, développé au sein du Xerox Palo Alto Research Center (PARC) au début des années 1970, a jeté les bases de nombreux principes matériels et logiciels encore employés aujourd’hui. Son influence sur la Silicon Valley et sur des figures emblématiques comme Steve Jobs est incontestable.
La naissance du Xerox Alto au cœur de la vallée
En 1970, Xerox décide d’implanter un laboratoire de recherche avancé à Palo Alto, en Californie, au cœur d’une région encore en pleine transformation : la Silicon Valley. Nommé Xerox PARC (Palo Alto Research Center), ce centre réunit des ingénieurs, des informaticiens et des chercheurs visionnaires. Leur mission : imaginer l’ordinateur du futur.
En 1973, le Xerox Alto voit le jour dans les locaux de PARC. Bien avant l’Apple Lisa (1983) ou le Macintosh (1984), l’Alto intègre des innovations qui deviendront des standards des décennies plus tard :
• Interface Graphique : L’Alto est l’un des tout premiers ordinateurs à proposer une interface utilisateur graphique (GUI), avec des fenêtres, des icônes et un curseur manipulé via une souris.
• Modèle Client-Serveur et Réseau Éthernet : Les chercheurs du PARC développent l’Ethernet, permettant aux Altos de communiquer entre eux. Cet environnement favorise la collaboration et préfigure l’informatique en réseau.
• WYSIWYG et Édition de Documents : L’Alto propose le concept de “What You See Is What You Get” (WYSIWYG), permettant à l’utilisateur de visualiser à l’écran la mise en page exacte de ce qui sera imprimé. Des outils tels que le logiciel Bravo, un des premiers éditeurs de texte WYSIWYG, placent l’utilisateur au cœur de l’expérience informatique.
Une vision trop avancée pour Xerox
Ironiquement, Xerox, alors géant mondial de la photocopie, tarde à saisir le potentiel commercial de ces innovations. L’entreprise peine à imaginer un marché pour ce type d’ordinateur individuel, doté de capacités graphiques avancées. L’Alto reste ainsi principalement un prototype utilisé en interne, un laboratoire d’idées plutôt qu’un produit destiné au grand public.
Cette sous-exploitation par Xerox illustre l’une des caractéristiques récurrentes de la Silicon Valley : les inventions visionnaires ne proviennent pas toujours des entreprises qui parviendront à les commercialiser. Les idées circulent, se diffusent et sont parfois réinventées ailleurs, par d’autres acteurs qui réussiront à les transformer en succès commerciaux.
La rencontre avec Steve Jobs et l’échange avec Apple
La légende veut qu’en décembre 1979, Steve Jobs, cofondateur d’Apple, se rende au Xerox PARC pour une démonstration des technologies développées autour de l’Alto. À cette époque, Apple est déjà un acteur majeur de la scène naissante de la micro-informatique grâce à l’Apple II, mais Jobs sait que l’avenir se jouera dans l’interface et l’expérience utilisateur.
L’accord passé entre Apple et Xerox est révélateur de l’esprit de la Silicon Valley, où partenariats et transferts de technologie sont courants. Xerox, en échange d’une participation minoritaire dans Apple (environ 1 million de dollars en actions à l’époque), autorise une délégation de la firme à pénétrer dans les secrets du PARC. Jobs et ses ingénieurs découvrent alors la souris, la GUI et le concept WYSIWYG. Ces visites – et plus particulièrement la deuxième, souvent évoquée dans les récits historiques – seront déterminantes.
De retour chez Apple, les équipes de Jobs s’inspirent directement de l’Alto pour concevoir l’Apple Lisa, puis le Macintosh. Bien que le Lisa soit un échec commercial en 1983 en raison de son prix élevé, le Macintosh de 1984, avec son interface graphique intuitive et sa souris, deviendra l’un des jalons fondateurs de l’informatique grand public. Le succès d’Apple démontre l’importance non seulement de l’invention, mais aussi du bon timing et du marketing.
L’héritage du Xerox Alto dans la Silicon Valley
L’histoire du Xerox Alto illustre parfaitement la dynamique de la Silicon Valley : un écosystème où la recherche avancée, souvent financée par de grandes entreprises ou par des fonds d’investissement, se confronte au pragmatisme des entrepreneurs capables d’identifier, de perfectionner et de mettre sur le marché une idée novatrice.
Si Xerox n’a pas capitalisé directement sur l’Alto, ce dernier est à l’origine d’un héritage conceptuel considérable. L’informatique personnelle moderne, avec ses interfaces graphiques conviviales, l’utilisation de la souris, les réseaux locaux, et l’édition en WYSIWYG, porte la marque de ce laboratoire d’idées des années 1970.
Les leçons tirées de cette histoire transcendent Xerox et Apple. Elles montrent que la Silicon Valley n’est pas qu’un simple cluster d’entreprises. C’est un terreau fertile, où les visions d’ingénieurs, de chercheurs et de designers échangent, s’enrichissent, se complètent. Le Xerox Alto fut la graine ; Apple, et d’autres, la récolte.
Le Xerox Alto est le témoin d’une époque où la Silicon Valley se cherchait encore, se construisait pièce par pièce, brevet par brevet, prototype après prototype. S’il n’a pas rencontré de succès commercial sous la bannière de Xerox, son influence a profondément marqué l’informatique personnelle. Et si l’on se souvient mieux du Macintosh ou de Microsoft Windows, c’est en partie grâce à ces premières semailles technologiques plantées au Xerox PARC. En cela, l’histoire du Xerox Alto, de son environnement révolutionnaire et de son partage avec des visionnaires comme Steve Jobs, résume l’essence même de la Silicon Valley : l’innovation, la transmission des idées et la capacité d’un écosystème à transformer la vision en révolution.
- Se connecter ou s'inscrire pour publier un commentaire