Dans l’effervescence de la Silicon Valley, l’innovation ne se limite pas aux avancées technologiques : elle concerne également la façon dont nous travaillons et gérons nos ressources. Traditionnellement, l'entreprise encourage à optimiser la gestion du temps pour accroître notre efficacité. Mais comme le souligne l’idée phare de Tim Bajarin (chroniqueur technologique américain et un consultant en technologie) et d’autres experts, un basculement s’opère aujourd’hui vers une approche centrée sur la gestion de l’énergie. Plutôt que de remplir frénétiquement nos agendas, il s’agirait de mettre l’accent sur ce qui stimule véritablement notre créativité.
Au cœur du problème : l’obsession pour le temps
Nous connaissons tous des situations où nos journées s’étirent de 6 h à 18 h sans véritable pause, enchaînant réunions et tâches administratives. Dans ce contexte, le réflexe naturel consiste à chercher de nouvelles méthodes pour "mieux gérer" notre temps. Mais cette recherche peut devenir un piège : on tente de caser toujours plus d’activités dans un nombre d’heures limité, nourrissant une culture du « hustle » (la course effrénée) qui s’accompagne de stress et à terme mène à l’épuisement.
Or, la gestion du temps au cordeau n’est pas la recette qui règle tout. Elle peut, paradoxalement, contribuer à aggraver la pression sociale et professionnelle, en nous incitant à maximiser chaque minute plutôt qu’à réfléchir à la qualité du temps passé.
L’alternative : placer l’énergie au centre
Selon cette nouvelle approche, le véritable critère d’efficacité est moins le temps alloué que l’énergie investie ou dépensée. Une tâche qui vous passionne peut, en quatre heures, vous dynamiser et vous laisser plein d’entrain pour le reste de la journée. À l’inverse, une autre, vécue comme pénible, peut vous drainer de toute votre énergie en à peine une heures.
Au lieu de juger une journée productive au nombre de points de la to-do list rayés, il s’agit de se demander lesquelles de ces activités nous font sentir plus "vivant, créatif et enthousiaste". C’est un changement de paradigme majeur dans la manière de concevoir le travail au quotidien.
Russ Hudson et l’énergie « piégée »
Russ Hudson, enseignant de l’Ennéagramme (outil de classement des personnalités), souligne le rôle nocif des émotions négatives (comme la frustration) dans la perte d’énergie. Ces émotions provoquent un afflux d’adrénaline et nous "accrochent" à un cycle de stress : au lieu de libérer notre potentiel, elles siphonnent notre vitalité.
Hudson va plus loin en expliquant que la frustration agit comme une addiction parce qu’elle donne la fausse impression de l’urgence et de l’adrénaline. Or, cette agitation permanente garde l’esprit dans un état de tension qui empêche de consacrer notre « force vitale » à des projets plus créatifs ou porteurs de sens.
Au-delà de l’épuisement : l’impact sociétal
Dans la Silicon Valley, la recherche de performance est omniprésente. Paradoxalement, c’est aussi un lieu où germent de nouvelles idées sur le bien-être au travail et la productivité durable. En prônant la gestion de l’énergie plutôt que celle du temps, on remet en question la "hustle culture" souvent associée à la Californie.
Cette évolution pourrait avoir un impact considérable sur les entreprises et sur les individus. Plutôt que de créer des systèmes sophistiqués pour remplir chaque minute de la journée, certains innovateurs proposent de mieux cerner nos sources de motivation et de satisfaction.
Cette démarche s’inscrit dans une tendance plus large où le bien-être et la santé mentale sont des enjeux de premier plan, notamment après la généralisation du télétravail et le désir de concilier vie personnelle et vie professionnelle.
Les trois piliers de la gestion de l’énergie
Prendre conscience (Awareness) : Il s’agit de repérer les différentes qualités d’énergie. Certaines activités créent une énergie positive, expansive, tandis que d’autres génèrent une tension nerveuse et épuisante.
Faire preuve de discernement (Discernment) : Classer les tâches selon leur impact sur votre énergie permet de favoriser celles qui vous dynamisent et de limiter (ou déléguer) celles qui vous drainent. Chacun a ses préférences : ce qui est un casse-tête pour l’un peut être source de plaisir pour l’autre.
Effectuer des choix et assumer des sacrifices (Choices and sacrifices) : Nous ne pouvons pas tout faire. Gérer son énergie implique aussi de dire « non » à certaines demandes pour préserver son bien-être et rester performant sur ce qui compte vraiment.
S’ancrer dans l’instant : la technique du « presencing »
Lorsque des émotions négatives surgissent, Russ Hudson propose une pratique appelée « presencing » :
Observer l’émotion (frustration, colère, etc.) sans la refouler.
Identifier clairement ce qui est ressenti.
Respirer dans l’émotion, pour la laisser passer plutôt que l’alimenter.
Cette méthode nous ramène dans le présent, brise le cycle de la frustration et libère l’énergie nécessaire pour avancer. C’est une approche simple, qui peut néanmoins transformer notre rapport aux difficultés du quotidien.
Vers une redéfinition de la réussite professionnelle
Dans un monde de plus en plus compétitif, la Silicon Valley continue d’innover non seulement dans les technologies, mais aussi dans les méthodes de travail et de management. Le passage d’une logique de gestion du temps à une logique de gestion de l’énergie pourrait bien représenter une nouvelle révolution silencieuse.
Ce changement de perspective offre un antidote au burn-out et à la course à la performance : il nous invite à privilégier la qualité de ce que nous faisons plutôt que la quantité, et à identifier les activités qui nourrissent notre créativité. Si la productivité reste un enjeu majeur, la manière de l’envisager se transforme. En adoptant ces principes, chacun peut aspirer à un modèle de travail plus équilibré, plus humain, et finalement plus durable.
Gardons tout de même à l'esprit que cette gestion de l'énergie n'est pas une martingale pour résoudre le stress au travail, certaine professions, pénibles de surcroit, ne pourront pas en bénéficier.
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