Présenté en 2016 au CES de Las Vegas, Ili était le premier traducteur de poche en temps réel. Il suffisait de dire une phrase dans sa langue maternelle et elle était traduite instantanément dans la langue de notre choix. Développé par une entreprise japonaise, ce petit appareil qui tient dans la main portait en lui les germes de la révolution qui allait bientôt arriver grâce à l’IA, dans nos téléphones portables et pourquoi pas la téléphonie d’entreprise dans les prochains mois.
Aujourd’hui, avec les derniers développement de l’IA, le secteur de la traduction est en ébullition et les fabricants de téléphones qui ont vite perçu l’intérêt de cette technologie, ne veulent pas rater le train. Mais avant de revenir sur la chute programmée de la barrière de la langue, (de la langue, pas de la culture), faisons un peut d’histoire, car l’Homme a toujours cherché à comprendre son prochain.
Intimement liée à l’Histoire des langues, les première traces connues de traduction remontent à l’Égypte ancienne. Des archéologues ont trouvé des preuves de traduction de textes cunéiformes en hiéroglyphes qui datent de -2 700.A l'origine, les traductions étaient réalisées par des interprètes, le plus souvent dans un cadre diplomatique, politique, puis elles ont par la suite été gravées (vous pensez à la pierre de Rosette).
Les premières traductions dont nous avons la trace (poèmes, comptes, histoires d’autres peuples) ont été réalisées par les Grecs anciens qui par ce biais s’intéressaient à d’autres cultures (pour mieux les assimiler, les conquérir, etc).
Les traductions se sont poursuivies tout au long de l’histoire avec la redécouverte par les Arabes des textes des savants et philosophes antiques, puis elles se sont diffusées au moyen âge après leurs traduction, le plus souvent en Latin par des clercs. Ces travaux de traduction étaient aussi financés par de riches seigneurs qui “protégeaient” des savants ou des artistes. Le travail de ces secrétaires bilingues et traducteurs était important et permettait au seigneur de jouir d’un certain prestige tant il contribuait à la diffusion d’œuvres nouvelles.
Plus proche de nous, les premières expériences de traduction automatiques coïncident avec la période où l’IA devint une discipline académique à part entière (1956). En janvier 1954 eut lieu à New York la première démonstration de traduction sur ordinateur ce qui a déclenché une accélération des recherches, qui prirent une dimension mondiale. La plupart des idées à la fois théoriques et méthodologiques qui présideront au développement du traitement automatique des langues jusqu'à nos jours apparaissent pendant cette première période.
Dans les années 1960-66, l'analyse syntaxique était considérée comme la seule voie de recherche pour la traduction automatique. Les méthodes empiriques et probabilistes ont été abandonnées (avant de revenir), et les méthodes sémantiques par langues intermédiaires ont été négligées.
Dans les années 60, l'analyse syntaxique est donc privilégiée comme la seule voie de recherche pour la traduction automatique. A la fin des années 60, la recherche est abandonnée par manque de financement et probablement à cause aussi du rapport de l’ALPAC (Automatic Language Processing Advisory Committee) qui se montrait très septique sur les progrès futurs de la traduction automatique… l'avenir prouvera le contraire.
Les années 70 voient, grâce au progrès de l’informatique et du traitement du signal, l’apparition des premiers systèmes de reconnaissance de la parole. Dans les années 80, l'introduction des micro-ordinateurs et des traitements de texte a permis la commercialisation de la traduction automatique, notamment grâce aux Japonais.
Enfin, la traduction automatique devient au cours des années 90 un sujet d’entreprise et de compétition économique avec la nécessité de traduire de manière automatique de gros corpus de documentation technique et scientifique. Elle représente aussi un enjeu de conquête de nouveaux marchés.
De nos jours, avec l’IA (ChatGpt) ou encore des sites spécialisés comme Deepl (lancé en 2017), n’importe qui peut traduire ce qu'il souhaite dans un sens ou un autre avec une bonne qualité.
Pour les particuliers et les voyageurs, cela fait plusieurs années que de petits traducteurs électroniques de poche sont disponibles pour les globe-trotter avec plus ou moins de langues embarquées. Ces appareils qui sont comme des dictionnaires portables contiennent une liste de mots (quelques milliers par langues) et des phrases types dans chaque langue disponible. Ils ont eu leur heure de gloire, mais l'arrivée des smartphones et la disponibilité d'internet les a peu peu relégué au placard, même si l'on peut toujours en acheter.
Seulement, en 2016 Ili, lauréat du prix de l’innovation au CES est venu jeter un pavé dans la marre grâce à sa capacité de traduction immédiate. Créé par la société japonaise LOGBAR, le traducteur se présente sous la forme d’une petite télécommande. Il suffit d’appuyer sur un bouton, de parler dans sa langue maternelle et la traduction se fait instantanément (sans connexion). Depuis, on a un peu oublié ce traducteur électronique, avant tout réservé aux voyageurs asiatiques.
Depuis, l'IA est venue rebattre les cartes. Fin 2023, SAMSUNG annonçait l’intégration de l’IA générative dans son prochain téléphone Galaxy (S24) pour permettre, en autres, aux "locuteurs de deux langues différentes de se comprendre immédiatement", via une traduction audio et textuelle en temps réel le géant Coréen annonce que cette technologie fonctionnera avec des téléphones d’autres marques… L’IA de Samsung repose sur le moteur de Google Gemini.
En plus de la traduction vocale en simultanée, l’IA de SAMSUNG permet d’écrire un SMS dans sa langue et de l’envoyer dans une autre langue, ou bien de traduire n’importe quel texte issu d’un document ou d’un site web. Elle possède d'autres fonctionnalités qui sont en train d'être testées et décortiquées par les spécialistes de la tech. Il ne fait pas de doute que les Apple, Huawei et Xiaomi ne tarderont pas à emboiter le pas dans les prochains mois. Pour Apple, on attend les annonces de la prochaine WWDC (Worldwide Developers Conference), qui aura lieu du 10 au 14 juin 2024 ce qui sera l'occasion de découvrir IOS 18… La firme à la pomme répondra-t-elle à SAMSUNG dans les prochaines semaines à cette occasion ?
Les autres secteurs ne sont pas épargnés par le débarquement de l’IA dans la traduction : séries, films, panneaux publicitaires, annonces… L’IA remplacera t-elle les doubleurs, traducteurs et au fond est-il toujours utile d’apprendre une langue étrangère ?
Et bien, ça dépend : Les avancées et les promesses de l’IA sont indéniables et vont faciliter la vie de millions de personnes qui sont souvent confrontées à la barrière de la langue. Pour peu que l’on ait voyagé ou rencontré des étrangers (parfois dans notre pays qui demandaient de l’aide dans la rue), la traduction instantané est un plus.
Côté entreprise aussi, la traduction instantanée devrait permettre de gagner en productivité de manière incontestable. Prenez par exemple, une visioconférence avec vos collègues Allemands, Espagnols et Anglais. L’envoi d’un email à ces mêmes collègues pour résumer la réunion, ou encore la traduction en simultanée de votre rapport d’expertise, ou d’une documentation technique dans un ou des fichiers des langues que vous avez choisies ne devrait plus prendre autant de temps qu'auparavant. Dans ces conditions, quel est l'intérêt d'apprendre encore une langue étrangère
D'un autre côté, on sait aussi que l’apprentissage des langues étrangères présente de multiples avantages. La recherche prouve, par exemple, que les personnes âgées qui parlent plusieurs langues sont moins susceptibles de développer des symptômes de démence sénile. Le cerveau bilingue se laisse également moins distraire et l'apprentissage des langues étrangères améliore aussi la créativité. Apprendre des langues étrangères développe la tolérance (à l’ambiguïté) et la compréhension des cultures (démontré par les chercheurs Hanh Thi Nguyen et Guy Kellogg). A contre courant dans un pays qui n’en fait pas une priorité, l'université de Princeton (USA), a annoncé que tous les étudiants, quel que soit leur niveau de langue quand ils entrent à l'université, devaient désormais apprendre une langue étrangère.
Quoiqu’il en soit, il faut se garder de faire un raccourci vers la compréhension culturelle grâce à ces nouveaux outils. Au quotidien, les champs d’application de l’IA vont se développer pour tous avec pour certain le risque de mettre sous pression les offres de services de traduction que les entreprises paient cher aujourd'hui. Il leur faudra se différencier pour proposer un plus que l'IA n'apporte pas.
Gardons à l’esprit que les mots, les écrits, en fonction de l'intention, de l’intonation, du contexte, du lieu peuvent avoir plusieurs acceptions, sous-entendus qui ne sont pas triviaux et que l’IA pourrait avoir encore des difficultés à traduire et à y déceler les subtilités. Est-ce qu’en fonction du lieu où je l’utilise, l’IA me proposera un pain au chocolat ou une chocolatine ?
Autre point, une langue est vivante, évolutive, des expressions sont à la mode, puis le son plus, des mots rentrent et sortent du dictionnaire tous les ans. Pour le linguiste et le féru d'étymologie, il n'est peut être pas encore le moment de reléguer son Littré, Harrap's ou Robert & Zanichelli au musée...
l’IA ne sonne pas le glas des cours de langues étrangères et il est plutôt judicieux de voir dans ces dernières applications de l'IA un outil pédagogique dont il faut savoir se saisir : facilitation de l’immersion linguistique, enrichissement du vocabulaire. La compréhension instantanée des contenus en langue étrangère contribuera aussi à l'accélération des apprentissages.
Il y a encore un intérêt dans certain métiers et champs de recherche d’apprendre des langues mortes ou encore de chercher à déchiffrer celles qui nous résistent (l'indus, le syllabaire chypro-minoen, l’Etrusque, exemples parmi d'autres). Ironiquement, l’IA pourrait peut-être nous y aider…